Portrait mois de Juin : M. Alain Moutassi Ebonguè

Ce mercredi 22/05/2013, je reçois le 1er Bakoko de mes portraits. Alain Ebonguè est un jeune Bakoko instruit et cultivé, très actif dans le milieu associatif et la création d’entreprise. Il se « débrouille », comme on dit au pays. Et je rajouterai : « il se débrouille plutôt bien ».

J’attends de vous une compétence éthique : que vous nous intégriez les notions d’honnêteté, de savoir-vivre et de savoir-faire, une plateforme d’échanges sincères.

Chancelle Bahoken : Bonjour Alain, pouvez-vous vous présenter, svp ?

Alain : Je m’appelle Moutassi Ebonguè Paul Alain, né le 04/02/1983 à Douala. Je suis issu de la famille régnante de Japoma, canton Bakoko. Je suis titulaire d’une maîtrise en comptabilité finance et je prépare un Master en Ingénierie financière, en ligne.

Chancelle Bahoken : Quelle est votre situation professionnelle ?

Alain : Je suis actuellement gérant de l’établissement Ponda, une entreprise sous-traitante d’AES Sonel, chargée du Nettoyage industriel et de l’entretien des espaces verts de la centrale thermique de Yassa-Dibamba. Je suis également animateur relais de l’ONG Cameroun Ecologie Edéa, sur les sites de Youpè et Gwang bakoko. Ils travaillent dans les mangroves et le renforcement des capacités. Leurs missions : sensibiliser les populations sur la préservation des mangroves, renforcer les capacités des populations (en les réorientant sur d’autres types d’activités afin de préserver la mangrove), la structuration communautaire (il s’agit d’inciter les paysans à se regrouper en Gic pour faciliter les relations avec les tiers). A la fin de mes études, j’ai fait un stage à la SAD (Société d’aménagement de Douala), constructeur de logements sociaux et d’aménagement du territoire, Les villages Mbanga japoma sont actionnaires et le chef supérieur de canton bakoko est Vice-Pca (président du conseil d’administration). Mais les problèmes de transparence ainsi que des conflits d’intérêts ont fait que je quitte mon poste alors que j étais en voie  d’être recruté comme comptable. Sans activité, j’adhère à l’Ong Cameroun Ecologie. Puis j’apprends que la Sonel va installer sa centrale thermique à Yassa. Avec quelques enfants du canton, ainsi que le lobbying de l’Ong Cameroun écologie, nous allons les voir pour défendre nos intérêts, insistant sur la nécessité d’embaucher les jeunes riverains. Entretemps, je crée l’association Dibamba Green portée sur le développement durable, la responsabilité sociale et la protection de l’environnement, en 2008. Financée en août 2012 par la Mairie de Douala 3e, nous avons construit un ponceau (petit pont) pour les motos et les piétons, derrière le Lycée de Japoma, zone particulièrement fréquentée et dans un état difficilement accessible. Le Maire adjoint de Douala 3e, Mme Nankam, est venue l’inaugurer. Nos négociations avec la Sonel ont abouti sur l’embauche de 2 électriciens parmi les jeunes du canton : 1 de Mbanga et l’autre de Japoma. Mais n’ayant pas le profil recherché comme électricien ou mécanicien, j’obtiens un contrat de sous-traitance pour la Sonel, au regard de mon expérience associative, ainsi que mes activités au sein de l’Ong Cameroun Ecologie. Je crée alors l’établissement Ponda avec un dignitaire du village Yassa qui participe au financement. Mais de ma formation comptable et finance, c’est moi qui assure principalement la gestion de cette entreprise. Ce mois de mai 2013, j’ai obtenu le certificat d’animateur formateur, à l’issue d’une formation au sein de l’ONG Assoal, sur les thèmes : gouvernance locale, transparence budgétaire, contrôle citoyen et responsabilité sociale. En tant que formateur animateur de cette Ong, nous sensibilisons les populations à être citoyens, pas seulement usagers. Cela veut dire qu’ils doivent s’intéresser à la chose publique afin que les ouvriers travaillent bien, suivre les projets de l’Etat (constructions d’écoles, de routes, etc), non pas comme des professionnels mais avec toute la curiosité et la courtoisie à l’égard des techniciens de chantiers. Les citoyens doivent connaître les recettes de la Mairie par exemple, surveiller les travaux à postériori, ne pas hésiter à interroger les ouvriers des chantiers sur la qualité du matériel utilisé et la qualité de l’ouvrage et se renseigner auprès des frères techniciens du génie civil en cas de doute. Les citoyens doivent être éveillés et ne pas rester des consommateurs passifs de la chose publique. L’ONG Assoal pilote ce projet depuis octobre/novembre 2012  et pour 3 ans. Elle est financée par une filiale de la Banque mondiale et une délégation de l’Union européenne. C’est une très belle initiative d’un frère bamiléké. Il faut reconnaître qu’ils sont forts, tous ces financements et ces institutions qui soutiennent l’Ong, c’est beau. Le projet phare de cette association est le projet TIC-GOUV. Il incite à l’utilisation des nouvelles technologies dans la gouvernance locale et le processus du budget participatif. Ainsi, les citoyens peuvent joindre les Mairies en ligne, interroger les gouvernants directement sur le budget de la ville, les projets en cours et à venir, accès aux jeunes et femmes aux services sociaux de base (éducation, centre de santé,… etc).

Chancelle Bahoken : Comment va Japoma et le canton Bakoko ?

Alain : Assez bien. Mais trop de conflits entre les populations et leurs leaders (chefs de villages, chef supérieur et autres élites), et entre les populations elles-mêmes, dû aux problèmes fonciers. Ça a désorganisé le village. La solidarité d’antan a fortement diminué, les valeurs traditionnelles telles que le respect du chef (figure modèle, en qui on a confiance) se sont effritées. Pareil pour le canton Bakoko, beaucoup de frères sont dans des problèmes judiciaires, certains ont des problèmes avec la police et risquent l’emprisonnement, pour des ventes illégales de terrains. Le climat est tendu à Bakoko. Faible taux de scolarisation, chômage et de nombreux décès.

Chancelle Bahoken : Quelles difficultés les jeunes rencontrent-ils là-bas au quotidien ?

Alain : D’abord le manque d’éducation, le chômage, la paresse et le manque d’ambition. Nous ne sommes pas nombreux au canton Bakoko à avoir atteint des études supérieures, plus rare encore le 3e cycle. Les jeunes préfèrent s’adonner à la vente de terrains bien plus facile et rentable, plutôt que chercher un travail fastidieux pour gagner des miettes. Les jeunes ne sont pas très actifs à Bakoko. Aller assister au défilé du 20 mai par exemple, rester sous le soleil, ça ne passe pas, c’est tout simplement incompréhensible. La chose publique est laissée pour compte, ça ne rentre pas dans nos mœurs. Le jeune bakoko manque de persévérance, il est trop pressé de gagner sa vie.

Chancelle Bahoken : Quelles aides, quelles mesures d’accompagnement avez-vous pour vous en sortir ?

Alain : Les 2 principaux ministères qui aident les jeunes sont le Ministère des jeunes et le Ministère de l’agriculture. Le ministère des jeunes finance les projets pour les jeunes. Dans le Ministères des affaires étrangères, il y a le département de la Diaspora récemment créé pour répondre aux besoins des camerounais de l’étranger. Le Pajer-U : programme d’appui de la jeunesse rurale et urbaine. J’en ai bénéficié notamment lors de la création d’un Gic à Japoma, pour cultiver le maïs, le manioc. J’ai confié la suite de cette activité à ma mère. Comme aide, il y a également les volontaires civils formés dans l’élevage et l’agriculture, puis financés pour des projets spécifiques. A une époque, le chef supérieur du canton Bakoko regroupait les jeunes pour les financer dans des projets tels que la couture, la briqueterie, la coiffure. C’était une très belle initiative aussi, mais ça n’a pas tenu, car le climat était tendu avec la population et trop de conflits interfamiliaux dans le canton. De plus, certains jeunes manquaient de formation dans les métiers mis en avant. Enfin, l’absence de contrainte, telle que le remboursement des sommes financées par le chef, fait que, certains ne se sont pas vraiment investis dans ce projet comme il le fallait. Il y avait aussi un certain état d’esprit qui voulait que l’argent facile, non remboursable, donc aucune pression de réussite. En résumé, tous les ministères au Cameroun aident les jeunes ayant des projets. Ce n’est pas facile mais il y a les aides, surtout le Ministère de l’agriculture, de la Jeunesse, les Affaires sociales. A conditions d’avoir le matériel de base, comme un champ par exemple, pour ceux qui se lancent dans l’agriculture. Le gouvernement peut te jongler la 1ère année quand tu t’installes à ton compte, car entre les contrôles de l’Etat, la lourdeur administrative et les dossiers qui se perdent, il peut se passer un certain temps relativement long… Mais quand tu les relances chaque fois, la 2eme année, ils te renvoient des contrôleurs, tu insistes que tu as besoin de cette aide et que ta 1ère demande n’a pas eu de suite. En général, le gouvernement finit par donner. Les fonds sont là pour ça. Le pays est dur, mais je connais mes frères camerounais. De fois les gens demandent des aides alors qu’ils n’ont même pas déjà le champ qu’ils vont exploiter.

Chancelle Bahoken : Au niveau traditionnel, direz-vous que la chefferie aide les jeunes ?

Alain : La chefferie supérieure a essayé et il y a eu échec. Les responsabilités de l’échec étaient partagées entre les populations et la chefferie. Par exemple, faire travailler ensemble des gens qui ne s’entendent pas, n’est pas productif. La centrale thermique de Yassa-Dibamba veut alimenter en médicaments et un plateau technique (salle d’opération de petite chirurgie) le centre de santé de Yassa, construire les forages et mettre l’éclairage public. Mais le chef du village et les populations sont en conflits depuis plusieurs années. Ce qui freine le projet. Le chef supérieur suit cette histoire et est aussi en train de négocier une convention pour faire embaucher plus d’autochtones, je l’espère…

Chancelle Bahoken : Connaissez-vous l’association Bassa Bakoko de France ?

Alain : non.

Chancelle Bahoken : (après lui avoir présenté notre association) Comment une telle association peut-elle être utile aux jeunes de votre canton ?

Alain : Cette association peut être un plaidoyer auprès des multinationales installées dans les cantons : ORANGE, CAMRAIL, TOTAL. Vous pouvez défendre nos intérêts auprès des maisons mères (embauches des gens du canton, location et exploitation des terres, … etc). Vous pouvez faciliter l’éducation des jeunes au Cameroun et en Europe. Par exemple, un jeune qui veut voyager, vous l’aidez à s’expatrier et faciliter son insertion sociale et son installation en France par exemple (études, travail). Et pour un jeune étudiant défavorisé, payer ses frais de scolarité, de même que pour les orphelins, les jeunes handicapés et envoyer les bourses scolaires.

Vous pouvez également opérer des transferts de compétences. Ça veut dire par exemple qu’un membre Bassa Bakoko ayant une solide compétence sur un domaine, peut venir nous former 2 semaines ou un temps précis, sur ce domaine. En matière d’emploi, un membre bassa bakoko peut proposer ses petits frères ou des jeunes bassa bakoko à un ami au pays, qui est cadre dans une société. Vous pouvez là-bas, convaincre les entreprises internationales à venir s’installer dans les cantons bassa bakoko et travailler les relations publiques, pour les inciter à embaucher les enfants des cantons.

J’ai en projet de créer une coopérative immobilière, dans laquelle les villageois donnent une grande superficie de terrain, les investisseurs (que vous pourrez nous apporter éventuellement) construisent des logements. Ces derniers récupèrent leur investissement sur la moitié des logements qu’ils mettent en location et les villageois l’autre moitié. Mais c’est une ébauche d’idée, qui reste ouverte à d’autres propositions.

Chancelle Bahoken : Etes-vous sensibilisés aux actions qui se passent dans votre canton ?

Alain : Oui. Dernièrement, j’ai accueilli les Sud-africains avec le chef supérieur Bakoko à la chefferie supérieure du canton. Ceux-ci sont venus pour un projet de barrage du Noun-Wouri. Ils ont ramené beaucoup d’argent pour investir chez nous…

Chancelle Bahoken : êtes-vous adhérent au Ngondo ?

Alain : Oui et non. Je suis d’accord avec le Ngondo en tant qu’institution qui coache les jeunes, qui défend les valeurs, nous impose de savoir au moins 2 dialectes, comme moi le Bakoko et le Bassa et/ou le Duala. Mais tout ce qui est mystique, je dis non, ça ne m’intéresse pas.

Chancelle Bahoken : Quelles actions du Chef supérieur appréciez-vous ?

Alain : – la création de la SAD ; Il est vice-Pca  avec le Dr Fritz Ntonè. C’est une entreprise financée par la Coopération française, qui a pour but d’urbaniser, construire les routes, développer les villages et construire les logements. Les populations ont donné une grande partie de leurs terres pour être viabilisée entièrement et cédé une partie au partenaire qui est la SAD, un volet responsabilité socio économique. Bon c’était une bonne idée, mais les résultats sont très mitigés…

–          Les colonies de vacances, qui sont très prisées. Il s’agit de prendre les enfants du canton la journée à la chefferie et leur apprendre la tradition (le dialecte, la coutume, les valeurs de notre peuple). Malheureusement faute de financement ça risque disparaitre

–          Notre chef supérieur a été Président du Ngondo il y a 2ans. A cette époque, les bakoko étaient les patrons du Ngondo, on y allait tout le temps, nous nous sentions exister dans la communauté des SAWA. Organiser le Ngondo nous a donné une certaine présence et une crédibilité dans la ville.

–          Aujourd’hui il est sénateur au nom des Bakoko. Le canton sera représenté. On a un chef qui défendra nos intérêts, qui défendra les lois qui protègent les minorités, j’ose le croire.

Chancelle Bahoken : Quelle(s) action(s) du chef trouvez-vous impopulaire(s) ?

Alain : je dirai le manque de transparence dans la gestion des terrains. L’absence de véritable insertion de la jeunesse. Le chef supérieur a beaucoup de ressources et de bonnes idées. Mais à chaque fois, il ne va pas au bout de ses actions. Et nous commençons à douter de son projet de société qu’il a souvent brandit à la presse et aux autorités.

Chancelle Bahoken : Avez-vous un message pour les membres de l’association Bassa Bakoko de France ?

Alain : Je les remercie de leurs initiatives et les encourage à tenir ferme, car de nature, nous ne sommes pas persévérants dans nos actions. Des fois, nous passons sur les choses essentielles et on s’accroche aux futilités. Nos actions sont très importantes pour le développement de nos communautés. Celles-ci ont besoin d’élites intellectuelles, d’une organisation de nos communautés, la formation de la jeunesse.

J’attends de vous une compétence éthique : que vous nous intégriez les notions d’honnêteté, de savoir-vivre et de savoir-faire, une plateforme d’échanges sincères. On peut apporter un élan de dialogue entre les générations, interpeler la démarche de nos chefs et la population. Vous pouvez nous apprendre un certain nombre de choses. Comment bien faire les choses et avoir une bonne éthique. Le fait de dépenser 7 millions de fracs Cfa pour un deuil, alors que dans la même famille, il y a quelqu’un qui est gravement malade, est-ce normal ? L’aide financière est aussi importante, mais la compétence éthique également. Fédérer les gens autour de vraies valeurs, un savoir-vivre, il faut travailler sur la culture et la notion de famille bassa bakoko.

Chancelle Bahoken : Je vous remercie de votre disponibilité et je suis très heureuse d’avoir discuté avec vous cet après-midi.

Alain : Le temps est passé trop vite. Moi aussi je suis content de cet entretien et je pense que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. Merci.