Portrait du mois de juillet : M. KOTTE EMMANUEL

Ce jeudi 6 juin 2013, nous sommes accueillis à Beedi chez M. Kottè Emmanuel, notable et membre très actif de l’UPC de la 1ère heure, figure emblématique de la résistance pour la liberté du Cameroun, aux côtés du regretté Um Nyobè.

De 1953 à 1955, je faisais la politique comme élève. J’apprenais aux côtés de Um Nyobè la lutte pour la Liberté du Cameroun, les revendications de l’Indépendance jusqu’au devant de l’Organisation des Nations Unies (ONU)

Chancelle Bahoken : M. Kottè bonjour !

M. Kottè : Bonjour !

Chancelle Bahoken : Je suis heureuse de vous rencontrer aujourd’hui pour mon portrait du mois. Pouvez-vous vous présenter, svp ?

M. Kottè : Je m’appelle Kottè Emmanuel, dit Pythagore. Né le 23/03/1935 à Beedi, Bassa Douala 5e. Fils de feu Lokolo Jean (Beedi) et de feue Ndodoki Fanny (Ndokoti). Marié et père de 7 enfants.

Chancelle Bahoken : Quelle est votre situation professionnelle ?

M. Kottè : Je suis planteur de profession. Je suis également conseiller politique de l’Upc  et doyen conseiller municipal de Douala 5e. Au niveau traditionnel, je suis 1er notable de mon village Beedi. Par le passé, j’ai obtenu mon Cepe le 26/06/1951. Puis j’ai intégré l’école professionnelle de Koumassi, où se trouve actuellement les Brasseries, dans la filière du maniement du bois, pour être ébeniste, charpentier, etc. En juin 1954, j’ai obtenu mon Brevet technique fin du cycle classique, cycle cours. Il faut dire qu’à l’époque à Bassa, il n’y avait que le cours élémentaire. Les cours moyens étaient centralisés à Akwa, ce qui engorgeait Akwa, car tous les enfants des banlieues Bassa, Bonabéri et ceux même de Douala venaient y faire leur CM.  A partir des années 50, on ouvre les cycles cours moyens aux banlieues Bassa , bakoko et Bonabéri. Je rentre à Bassa inaugurer le CM2. Après mon Brevet technique, je suis considéré comme une lumière au village, car nous sommes  les plus instruits. En 1953, 18 ans tout juste, je commence ma carrière politique. Le bureau de l’Upc se trouvait à Nkon Mondo , qui signifie « nouveau village ». C’était aux rails, TSF (téléphone sans fil). Le 26/06/1953, un samedi, Um Nyobè qui sillonnait le canton par la route Ndog Bati-Ndogsimbi-Ndokoti-Ndogbong-Beedi, m’a pris à Beedi. Il prêchait la Liberté, disant que le Cameroun sera libre. Son thème était « les blancs vont partir, c’est vous qui allez rester avec  votre pays ». Ces paroles faisaient pétiller mes yeux de plaisir. Je deviens son secrétaire adjoint, pour la rédaction des procès-verbaux et autres documents, car j’avais une très belle écriture calligraphique. Je maîtrisais l’art de l’écriture à la plume, même au stylo. A l’époque, je travaillais depuis 1 an à la Régie Fercam comme contrôleur des trains banlieues titulaire. Nous avons été stagiaires chef de train, contrôleur longue ligne et banlieue. Nous sommes entrés 300 candidats et on voulait 20 personnes. J’étais 22e pour intégrer la formation mais deux ont dû se désister en cours de route. Nous étions facteurs agents de gare. De 1953 à 1955, je faisais la politique comme élève. J’apprenais aux côtés de Um Nyobè les choses qui se passaient au pays, la lutte pour la Liberté du Cameroun, les revendications de l’Indépendance jusqu’au devant de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Le Cameroun était le 1er pays à demander l’indépendance… pleines de choses. Mais le 20 ou le 25/05/1955 à 15h, la guerre a éclaté au Cameroun sous toutes les formes. Soulèvement de population pour réclamer sa liberté. Arrestations massives, tueries massives, le pays était une marre de sang. Ça a commencé à Douala, puis à Edéa, bref les lieux considérés comme le fief de l’Upc. Dès lors, Um Nyobè et ses acolytes étaient activement recherchés, car considérés comme des fauteurs de trouble. Les trains, les avions, la ville, tout était à l’arrêt. Un avion nommé Staplonil sillonnait l’espace aérien pour distribuer les tracts disant que c’est le couvre-feu, personne dehors à partir de 18 heures. On m’a arrêté le 14/12/1955 car je vendais les tracts de l’Upc destinés à l’enseignement. J’ai été transféré à la gendarmerie de la Régie Fercam, sis à l’ancienne gare de Douala à Bessekè. J’y suis resté 2 jours. Puis j’ai été envoyé à la prison de New-Bell où j’ai trouvé de nombreuses arrestations abusives et massives. Je suis resté en détention 1 an, le temps d’atteindre l’âge de la majorité (21 ans). Le 16/12/1956, j’ai écopé d’un an d’emprisonnement. Ma peine était ainsi purgée. Là-bas, la majorité des prisonniers était des arrêtés politiques, ils n’étaient pas traités comme les prisonniers habituels. Sorti de prison, je continue mes activités politiques. Je sors tête pleine de l’école politique, puis je poursuis ma carrière politique en Chine en 1957 avec des confrères upécistes. En 1958, nous entendons en Chine, le décès de Um Nyobè, notre secrétaire général. Très attristé, nous tenons quand même à terminer notre mission. Au retour en 1959, nous sommes passés par le Ghana, reçus par Nkwamè Krumah. A peine arrivé au pays, je trouve le travail à la maison Monoprix comme caissier vendeur. On a voulu organiser l’Upc de retour de Chine. Le gouvernement nous a ramassé comme des perturbateurs, nous traitant de maquisards (les gens qui vivent dans les maquis). Et là on rentre dans une nouvelle période de guerre. Le maquis se caractérise par des tueries abusives, racontage, espionnage de partout. On racontait que les maquisards sont à Beedi et à Edéa, après Douala. J’ai raté des fiançailles à cette période en partant en Chine parce que ma vie était instable. De retour j’ai vécu 1 an de concubinage. J’ai pensé que ma mère étant décédée, il me fallait une épouse à la maison et il fallait que je me débrouille. Après 1 ou 2 ans de vie commune, on m’a arrêté alors ma femme était enceinte de 7 mois. J’ai eu beaucoup de chance, on aurait pu me tuer car les racontages disaient que tous les maquisards étaient à Beedi. Tout le monde fuyait Beedi. Je peux dire que je suis resté seul à Beedi Malanguè. On arrêtait beaucoup de gens à cette époque, les envoyant en prison à Yoko par convoi de trains. C’est la même guerre qui court depuis 1955 en fait, mais il y a des étapes dans la barbarie. Les gens venaient de partout en Afrique pour tuer les « maquisards camerounais », premiers à demander l’Indépendance… Du Congo Brazzaville, Gabon, Côte d’ivoire, Egypte, partout, envoyés par les français qui leur disaient : « ils veulent l’indépendance, savent-ils fabriquer ne serait-ce que les allumettes ? ». Le Blanc n’a pas vu venir la soif de liberté du Camerounais et pourtant ! Sorti de prison le 29/03/1975 jardinier, où j’ai finalement mis 15 ans au lieu de 25, grâce aux remises de peine pour bonne conduite. De Gaulle nous a condamné à 30ans d’interdiction de libre expression de 1960 à 1990, pour refus de négociation de l’indépendance.

Chancelle Bahoken : Comment voyez-vous la vie d’aujourd’hui ?

M. Kottè : Quand tu as planté un arbre quelque part, ton nom ne finira jamais. Ce que j’ai vu, entendu, tôt ou tard, va se réaliser. 1 historien, c’est quelqu’un qui a vécu les choses. Chaque chose en son temps. Depuis 1990, nous sommes sortis de la répression de la liberté de parole, mais aujourd’hui, je ne peux pas définir ce que nous vivons. Nous sommes encore à la recherche de notre voie. Quand tu vois que tu marches avec des gens qui ne te comprennent pas, tu les laisses. Aujourd’hui dans notre parti politique l’Upc, les gens se discutent le pouvoir alors qu’ils n’étaient pas là au début…, moi je n’ai plus la force de me battre. Nous avons perdu les élections sénatoriales, même pas un seul siège, parce que l’Upc est incapable de se réunifier et désigner 1 représentant.

Chancelle Bahoken : les Bassa Bakoko vont-ils s’ensortir ?

M. Kottè : Ce qui est mauvais dans nos cantons, nous sommes trop derrière, nous ne sommes pas actifs, très mornes. J’ai créé, avec M. Zachman de Ndogbong, une association de notables, pour révéler notre coutume. Ce sont les chefs qui ont commencé par créer l’association des chefs avec pour Président M. Doumbè Alexandre dit Alèzi. Nous avons voulu créer une association sur le même modèle, pour intensifier leurs actions. La présidence est tournante tous les 2 ans. Mais les gens n’adhèrent pas, nous manquons de moyens pour organiser des actions. Le projet piétine et pourtant c’est pour notre intérêt. Comment pouvons-nous insuffler un esprit combattif aux jeunes générations si nous ne nous retrouvons pas autour d’actions visant à promouvoir notre coutume et notre culture? Regardes les mairies de nos cantons par qui elles sont tenues ? Aucun ressortissant de nos cantons. Douala 2e, secteur New-Bell, le maire est bamiléké. Douala 3e (zone Logbaba) et Douala 5e (zone Bonamoussadi), qui sont des arrondissements représentant les cantons Bassa (provenance Ngok Litouba) et Bakoko (provenance Mpoh) sont respectivement tenus par un nordiste et une bamiléké. C’est nous les Bassa Bakoko qui devons faire quelque chose. Mais comme quand on n’a pas d’argent, j’ai l’impression qu’on n’est pas écouté… Alors que quand on donne le Savoir et que les gens l’utilisent bien, ça donne la réussite. Nous avons un Chef supérieur à Bassa, que les gens n’écoutent pas. Pourquoi ? Un peuple peut-il évoluer sans chef ? J’ai 2 chefs supérieurs dont je suis l’aîné : celui de Bassa et de Bakoko. J’ai maintes fois proposé de nous rassembler pour faire des choses pour nos cantons. J’ai travaillé pour mon pays, je veux travailler pour mon peuple, nos cantons. Mais est-ce qu’ils m’écoutent ? Non. Comme ils ont de l’argent…. Quand je vois les gens qui construisent des hôtels, où ils organisent leurs mariages, nous, on a une petite salle à Mbanga’a… Aucune à Bassa. Les Bakoko au moins ont déjà un sénateur, un ambassadeur itinérant. Nous les Bassa, seulement la guerre, les conflits, les tensions pour tout (pouvoir, terrains, héritage, etc). En bassa, on dit : « King i yé i dibam » ce qui signifie que la chefferie est dans la lignée, elle est incontestable..

Chancelle Bahoken : Qu’est-ce que l’association peut faire pour nos cantons ?

M. Kottè : Acheter la terre. Ça peut devenir un hôtel, les enfants du canton peuvent travailler dedans, ça peut les aider.

Chancelle Bahoken : Avez-vous un message pour les membres de l’association Bassa Bakoko ?

M. Kottè : Tu leur dis que tu as rencontré un doyen vétéran de la Résistance pour l’Indépendance de notre pays. Faites un effort, vous sortirez un jour de l’impasse. Le Cameroun est riche, mais c’est vous qui trouverez sa richesse. Comme disait un père à ses enfants : « Cherchez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place où la main ne passe et repasse ». Vous allez trouver un jour le trésor. Il faut faire un endroit comme une salle de fête. Les autres construisent les immeubles dans nos villages. On a reçu 4,5 ha mais aucun enfant du village n’a reçu de lopin de terres.

Chancelle Bahoken : Un message pour le président de l’association ?

M. Kottè : Le vieux papa Kottè attend vos échos. Il est là. Si on peut faire quelque chose qui réveillera le village, un immeuble deux niveaux, en bas un dancing, un restaurant, un endroit pour accueillir nos mariages. Il nous en manque.